Aucun médecin Ouzbek du Moyen Age n’a acquis une telle la renommée que Avicenne. Son oeuvre fut l’un des piliers de I’enseignement médical de I’Europe pendant cinq siècles ; fort de cette gloire aucun pays arabe ni de religion musulmane ne cesse de l’honorer, et Ie millième (supposé) anniversaire de sa naissance fut célébré par d’innombrables pays et par I’UNESCO. Que cette réputation soit pleinement justifiée sur Ie plan médical, c’est une autre question, car d’une part on a sans raison plausible invoqué son antériorité pour les découvertes scientifiques les plus récentes, et d’autre part on a utilisé son patronage pour les élucubrations les plus artificielles et parfois charlatanesques.

Quoi qu’il en soit, les fausses traditions historiques appartiennent à I’histoire, elles ne peuvent être annulées, et les innombrables hôpitaux portant le nom d’Avicenne dans le monde entier, y compris à Paris, prouvent I’universalité du personnage. Il naquit près de Boukhara aux environs de 980. La date du 17 août 980, souvent citée ne repose sur aucun texte sur. Son père ouzbek était originaire de Balkh, adepte de la secte des Ismaéliens, petit fonctionnaire des finances, et sa mère était Tadjik. Dès son jeune âge il connaissait tout du Coran et des auteurs arabes. Sous la conduite d’un maître chrétien il apprit les sciences naturelles, la logique grecque et la métaphysique. Faisant rapidement I’admiration des cheikhs et imams du voisinage, il se lança aussi dans la médecine ‘’qui ne lui présenta aucune difficulté’’.

Son renom I’amena à soigner Nuh Ibn Mansur, I’un de ces princes samanides qui régnaient alors au Khorassan et en Transoxiane. Cette consultation lui ouvrit Ies portes de la bibliothèque royale, où Avicenne trouva des ouvrages de toutes les sciences connues à l’époque. Après la mort de son père, puis celle de son protecteur, il entra au service du souverain de Khârezm, Ali Ibn Mamoun. Mais se sentant menacé par Mahmud le sultan de Ghazni, dont les ambitions politiques ne lui permettent pas de rester tranquille dans son pays, il s’enfuit au Daghestan sur les bords de la Caspienne à Gorgan, auprès du persan Abou Mohammed el Chirazi. Non seulement il développait sa philosophie, mais il assurait aussi son revenu en pratiquant Ia médecine. Il fut ensuite appelé en consultation auprès d’un prince de la ville de Ray.

A la mort de son protecteur, il en trouva un autre en la personne de Chams ed Daoula, émir de Hamadan, qu’il guérit de troubles intestinaux et qui fit de lui un haut fonctionnaire de sa cour. Mais impliqué dans une sédition militaire mal connue, il se retrouva en prison, pour bientôt en sortir lors de la reprise des coliques du prince, et être nommé vizir. Cependant Chams ed Daoula mourut malgré ses soins : le fils héritier du trône lui offrit le vizirat qu’Avicenne refusa et se réfugia dans une retraite cachée. Il y fut découvert, enfermé dans une citadelle, d’où il put s’enfuir. De nouveau un patron s’offrit à lui, Ala Ed Daoula, émir d’Ispahan.

Là il connut quelques années de calme relatif, qu’il consacra à parcourir d’innombrables contrées, de la Mésopotamie à Boukhara, enseignant, écrivant et soignant, recevant de riches présents, et passant des cours princières aux caravansérails de fortune. L’histoire minutieuse de ses voyages a été racontée par son élève Abou Ubayd de Gorgan. Mais cette vie agitée ne tarda pas à faire sentir ses effets. En 1031 il commença à se sentir malade, il s’affaiblit progressivement et il mourut en 1037.à Hamadan, épuisé dit-on autant par ses charges administratives passées, sa production scientifique, que par les joies de la chair.

Son tombeau à Hamadan a été I’objet de vénération pendant des siècles ; en 1952 un mausolée plus grandiose fut érigé, et à cette occasion des photographies furent prises du crane d’Avicenne. A partir de ces documents, un savant soviétique, M. Gerasimov, archéologue, anthropologue et sculpteur, a réalisé un  ‘’portrait’’ du grand homme. On ne saurait évidemment prétendre que la physionomie ainsi proposée corresponde au vrai visage d’Avicenne, mais elle est en tout cas fondée sur un crane qui a tout chance d’être le vrai, alors que les portraits de Rhazès, d’Aboulcassis ou autres grands médecins, qui nous sont transmis par la tradition depuis si longtemps, ne sont que des fantaisies. Avicenne a écrit un peu en persan, mais surtout en arabe ; et comme il est né dans un territoire -longtemps appelé le Turkestan, d’un père Ouzbek et d’une mère Tadjik,et comme il a parcouru tant de pays dans cette vie agitée, on comprend que tant de nations le considèrent comme un des leurs, I’Union Soviétique, les républiques de l’Ouzbékistan et du Tadjikistan, I’Afghanistan, I’Iran, la Turquie, Azerbaïdjan. On lui prête aussi des voyages dans des pays arabes éloignés qui y trouvent motifs d’une vénération spéciale.