LA MOSQUEE

Le modèle de la mosquée aurait été la cour de la maison de Mohamed à Médine : carrée, entourée d’une galerie ayant un auvent de palme contre le mur nord, lieu de réunion et de prière, orientée vers Jérusalem jusqu’à la rupture avec les Juifs.

Le terme mosquée vient de masjid désignant un « lieu de prosternation ».Car le musulman peut prier n’importe où même s’il ne prie pas n’importe quand – à condition de sacraliser l’espace de prière, c’est-à-dire de le séparer du monde profane par une limite et une orientation comme en témoignent les « mosquées du désert » formées par un simple tracé de pierres alignées sur le sol, ou ces petites salles réservées à la prière dans les stations-service. La plupart du temps, il oriente son tapis de prière. A l’origine, le bédouin fichait sa lance dans le sable devant le tapis. (Notons que si un être impur, un âne ou une femme, passait entre la lance et le tapis, l’opération devait être recommencée).

Il s’ensuit que chaque maison peut être une mosquée et que la mosquée en tant qu’édifice n’est sacrée que lorsque les fidèles y sont réunis dans la prière. Ce qui la différencie d’une église catholique où, même en l’absence de croyants, Dieu est considéré comme présent si le tabernacle contient une hostie consacrée.

Pour le soufisme, la sacralité n’est dans aucun lieu mais dans le cœur de l’homme.

Avant de pénétrer du pied droit dans la mosquée, le fidèle doit aussi sacraliser son corps en lui conférant la « propreté extérieure ». Il enlève ses sandales qui ont ramassé la poussière des routes, symbole des préoccupations profanes, de même que le samouraï quittait ses armes à l’entrée de la pièce réservée à la cérémonie du thé.

Ensuite il procède aux ablutions. Il convient de se laver le visage, les mains, les avant-bras, les pieds et les chevilles. Prévoyant toujours les problèmes du bédouin, le Coran précise qu’en l’absence d’eau, cette purification peut se faire avec du sable.

Du point de vue ésotérique, le but n’est pas tant la propreté physique que le fait d’activer un symbole, celui de la pureté intérieure, du retour à l’innocence, qui marque le début du chemin initiatique, comme l’eau bénite dans laquelle on trempe sa main à l’entrée des églises.

La mosquée a une vocation religieuse, sociale, éducative, voire politique. C’est un asile pour les fugitifs, et même un endroit frais et tranquille où se reposer, discuter ou faire la sieste.

LA MOSQUEE ARABE (ou mosquée hypostyle)

Quiconque a parcouru une médina d’Afrique du Nord a expérimenté la difficulté à trouver une mosquée. De l’extérieur, la mosquée arabe ne se distingue que par sa porte, à peine plus riche que celle d’une maison de notable, et par son minaret qu’on perd de vue quand on l’approche. Elle ne s’affirme pas comme monument architectural ou signe d’un pouvoir. Elle ne domine pas la cité comme une cathédrale, elle y est totalement intégrée, cœur ou poumon de la communauté.

La mosquée est entourée d’un mur d’enceinte, parfois double, qui la sépare de l’agitation et du bruit de la ville.

Le minaret

Introduit à la fin du premier siècle de l’Hégire pour servir de tour de guet et peut-être pour concurrencer les clochers, il est considéré par les rigoristes (kharijites, ibadhites, salafites) comme un élément non traditionnel qui n’est pas indispensable ou ne doit pas être ostentatoire.

Il peut prendre de nombreuses formes : parallélépipède, cône, cylindre, hélice…

Le minaret indique l’emplacement de la mosquée et offre un point élevé d’où le muezzin psalmodie l’appel à la prière, c’est-à-dire à prier et non à venir prier à la mosquée. Cette psalmodie, consistant dans la profession de foi, est diffusée cinq fois par jour et dans quatre directions. Elle sacralise donc le temps et l’espace de la communauté.

Le premier muezzin fut Bilal, esclave-noir affranchi et converti qui appelait à la prière du toit de la maison de Mohamed.

On aurait choisi la voix pour se démarquer des chrétiens qui utilisaient les cloches et des Juifs qui utilisaient la corne. Sans doute ce choix fut-il aussi dicté par l’importance que revêt la parole dans l’islam, qu’elle soit entendue, récitée ou écrite.

Le plan

Il est d’usage de voir la mosquée arabe divisée en deux parties : la cour entourée de portiques et, dans son prolongement, la salle de prière. Une fontaine destinée aux ablutions est située au centre ou dans un angle de la cour.

La salle de prière

Elle est hvpostyle, à colonnes supportant un plafond en bois, extensible dans les deux sens en fonction de la démographie. Le sol est recouvert de tapis.

Le mur du fond ou qibla (orientation)

Les croyants s’alignent face à lui pour prier et écouter le prêche de l’imam. Dans le mur se trouve une niche vide : le mihrab. A côté d’elle, le minbar, sorte de chaire d’où l’imam s’adresse aux fidèles.

Le mur a pour fonction de séparer et de relier.

Il sépare celui qui prie du monde profane en créant une limite qui sacralise l’espace intérieur comme le pieu fiché dans le sable devant le tapis de prière. Il sépare le croyant du Dieu transcendant et indicible en interdisant toute projection visuelle profane, car il est sans anecdote offerte au regard, comme celui face auquel se pratique la méditation zen conduisant à la vacuité. Il n’y a rien à voir, rien à imaginer. Le regard est retourné vers l’intérieur de soi.

Par ailleurs, il relie la communauté des croyants en donnant la direction du rang qu’ils doivent former pour exécuter la prière : parallèlement à lui, parfaitement alignés et littéralement soudés, se touchant par les épaules ou les pieds.

Les femmes sont soit dans une pièce ou un étage séparés, soit rangées derrière les hommes, soit groupées à côté d’eux.

Le mur donne une autre direction : celle de La Mecque. En priant face à lui la communauté se relie à l’oumma, la grande communauté des croyants. Car, toutes les mosquées étant orientées vers La Mecque, leur ensemble forme un mandala cosmique, une circonférence dont le centre, l’axe du monde, est la Ka’ba.

La prière du vendredi est donc le moment où s’affirme l’unité de la foi, la communauté des croyants et leur égalité. Quoique, pour des raisons de sécurité, il y ait dans certaines mosquées un espace réservé au sultan. L’assassinat politique dans les lieux et les moments sacrés ne date pas d’aujourd’hui !

L’ésotérisme distingue l’orientation extérieure vers la Ka’ba de l’orientation intérieure vers « le visage de Dieu », Le Coran dit d’ailleurs : « La piété ne consiste pas à tourner votre face vers l’orient ou l’occident ».

Le minbar

Notons que l’imam n’est pas un prêtre, mais seulement celui qui dirige la prière.

Pour prêcher, Mohamed se serait assis au sommet d’un escabeau à trois degrés, les pieds sur la deuxième marche. Par respect Abu Bakr, premier calife, se serait assis sur la deuxième marche, et Omar, deuxième calife, encore un degré en dessous. En principe, l’imam lui aussi ne devrait gravir que quelques marches car personne ne peut égaler le prophète.

Du point de vue ésotérique, le minbar symbolise la hiérarchie des degrés à parcourir par celui qui s’engage sur la Voie initiatique.

Le mihrab

On lui attribue plusieurs fonctions.

La plus répandue est le fait de donner l’orientation de La Mecque. On pourrait dire que ce n’est pas nécessaire puisque le mur la donne déjà, mais cela s’avère utile dans les mosquées devenues complexes par ajouts d’espaces. Par contre on peut se demander ce qui justifie le choix d’une niche pour cette fonction que n’importe quel autre signe aurait pu aussi bien remplir.

On prête également au mihrab la faculté d’améliorer l’acoustique. Quand l’imam chante la prière, il se place devant celui-ci (parfois face au minbar, la main droite à côté de sa bouche) de sorte que le son est envoyé dans la niche et répercuté dans tout l’espace.

Cependant, appliqué aux édifices religieux, le point de vue fonctionnaliste est réducteur s’il est exclusif et évacue le symbole. Car la niche vide est aussi le symbole d’une présence qui est en même temps une absence, du Dieu transcendant dont on ne peut rien dire, mais qui manifeste sa lumière, soit extérieurement dans la caverne du monde, soit intérieurement dans la caverne du cœur.

Peut-être est-ce à cela que fait allusion la sourate « la Lumière » (XXIV, verset 35), la plus commentée du Coran.

« Dieu est la lumière des deux et de la terre !

Sa lumière est comparable à une niche Où se trouve une lampe.

La lampe est dans un verre ;

Le verre est semblable à une étoile brillante.

Cette lampe est allumée à un arbre béni :

L’olivier qui ne provient

Ni de l’orient, ni de l’occident Et dont l’huile éclaire Sans que le feu la touche »

Du point de vue ésotérique, on pourrait voir dans la niche le symbole d’un passage, une invite à traverser le mur, l’indication d’une orientation non plus spatiale vers La Mecque, mais spirituelle vers le centre de soi, vers son âme divine. Le mur sépare du Dieu transcendant, mais dans ce mur une porte permet d’y accéder.

Plusieurs arguments plaident en faveur de cette interprétation.

Considérons le mihrab de Cordoue, chambre octogonale toute d’or et de lumière (notons que l’octogone symbolise le départ de la vie spirituelle, le passage du carré au cercle). L’arcade du mihrab obéit à la même loi de composition que la porte d’enceinte, montrant par là que si la porte d’enceinte est passage vers le temple, le mihrab est passage au-delà du temple.

Il a une dimension adaptée à la taille humaine, inférieure à 2,50 m, quelle que soit la dimension du bâtiment. Mais c’est une porte étroite ne permettant le passage que d’une seule personne s’engageant dans un voyage individuel. D’ailleurs ie décor du tapis de la salle de prière représente souvent une succession de mihrabs, de portes individuelles.

Selon un soufi, cette porte « … n’est point encombrée. La plupart des gens ne désirent pas leur Seigneur, mais veulent plutôt ce qui est auprès de Dieu en termes de bienfaits ».

Dans le mihrab ci-dessous, exposé au musée de Bagdad, il y a un seuil à enjamber et une porte entrebâillée qu’il faut pousser si on veut progresser (à l’inverse du personnage de Kafka qui attend indéfiniment qu’un gardien lui ouvre la porte du château). Remarquons que, dans la religion, la porte s’ouvre dans l’autre sens. C’est Dieu qui envoie sa grâce.

Parfois la porte est mise en abîme, il y a une porte dans la porte dans la porte, signifiant qu’elle est le début d’un chemin difficile et à jamais inachevé. « Ne crois jamais qu’au-delà de ce que tu as atteint, il n’y ait plus rien d’autre, quelque chose de toujours plus élevé » a dit le soufi Kobrâ...

                                                           La cour

Nous sommes loin de I’austdrité arabe. Revisitde par le lyrisme persan, la cour se transforme en jardin. Les parois et les vo0tes sont entidrement recouvertes d’un semis floral sur cdramiques, aux couleurs diaphanes et célestes. Celui-ci est détaché du sol par une bande ocre qui accentue I’aspect adrien de l’édifice, donne I’impression d’un jardin suspendu, et rèpond ir la règle selon laquelle le panneau inférieur d’une mosquée ne peut étre figuratif pour ne pas distraire le fidèle. L’allégorie du jardin se retrouve aussi dans le plan qui reprend la structure du jardin persan divisé en quatre avec un bassin en son centre. Cette structure evoque celle du paradis. Le terme « paradis » vient du persan parai daiza, désignant un jardin entouré de murs. Car le sentiment de la nature du bédouin nomade ou du caravanier ne se nourrit pas de paysages sauvages, mais d’oasis cultivées et fertiles.

Le Coran (sourate L) décrit le paradis comme composé de quatre jardins ombragés d’arbres fruitiers, travers d’ par quatre fleuves sortant de quatre sources situées dans des grottes. Cette composition se retrouve dans la « cour des lions » du palais de I’Alhambra à Grenade. Pour le simple croyant le décor bleu et fleuri omniprésent suggère la récompense promise dans I’au-deld. Pour l’ésotérisme, le paradis est un état de conscience d’atteindre ici-bas, dans I’union avec tout le cosmos et avec Dieu, en quittant son moi profane pour rejoindre son centre divin.

 

                                                             Le bassin

L’eau de la fontaine aux ablutions était symbole de pureté corporelle et intérieure, celle du bassin a un double symbolisme ésotérique. Le bassin est le symbole du Dieu transcendant qui se manifeste dans I’univers, car le bassin est le miroir, le reflet du ciel, le haut est dans le bas.Le bassin est aussi le symbole de la gnose, de I’aboutissement du chemin spirituel. Le soufisme dit que nous sommes comme un miroir dont il faut enlever la poussière, puis le polir et le placer face à la lumière pour réaliser I’union entre celui qui contemple et cela qui est contemplé. Ce symbolisme se retrouve dans « l’eau calme,des taoistes. Celui qui devient miroir du divin, celui-là rassemble le haut et le bas, de meme que I’extérieur et I’intérieur puisque le bassin est aussi au centre de la mosquée, symbole du monde, qui s’y reflète dans toutes ses dimensions. Mais cette dimension divine à trouver et réaliser en soi reste inaccessible. On ne peut que tourner autour du bassin, comme on tourne autour de la Ka’ba, comme on tourne autour du centre d’une Loge. Du point de vue ésotérique, on pourrait dire que la mosquée iranienne commence en quelque sorte là ou s’arrete la mosquée arabe : I’arabe conduisant jusqu’à la porte iranienne illustrant l’état sprirituel reserve à celui qui passé cette porte.